Comment s’adapter aux jeunes pour qu’ils construisent leur propre syndicalisme ?

Retransmises en direct sur le site de l’UGICT et sur Mediapart, les rencontres d’Options du 23 novembre 2016 ont été le lieu de débats ouverts et prospectifs sur la situation des jeunes au travail :  quelles sont leurs aspirations ? quels sont leurs engagements dans l’entreprise ? dans le syndicalisme ?

Lors des conclusions de la journée, Marie-José Kotlicki ( Secrétaire générale de l’Ugict-CGT ) affirme que “concrétiser la rencontre des jeunes diplômés et de l’Ugict-CGT implique de nous adapter aux jeunes diplômés et non l’inverse, d’aller au-devant d’eux et non de les appeler à nous rejoindre.” Il faut en effet compter avec les jeunes qui « sont capables de se mobiliser pour leur émancipation future au travail » et relever le défi du syndicalisme “2.0” afin d’évoluer et être plus performants.

Retrouver ici les débats des rencontres d’Options « Travail, engagements et avenir des jeunes »

 

 Conclusions Marie-José Kotlicki – Secrétaire générale de l’Ugict-CGT

 

« Envahissez-nous ». Georges Séguy lançait cette adresse à la jeunesse au congrès confédéral de Lille, en 1982.

Prononcé dans une autre période, où des bouleversements importants s’opéraient, cet appel est plus que jamais d’actualité. Il s’agit d’ouvrir des perspectives aux jeunes diplômés, de leur permettre d’être entreprenants et non dépendants dans la vie ; reconnus, acteurs dans leur travail et non précaires et déclassés. Il s’agit aussi d’accélérer les évolutions de notre syndicalisme à l’heure du numérique, d’aiguiser notre efficacité dans les mobilisations et d’assurer notre pérennité.

Si toutes les études sur les rapports des jeunes au syndicalisme placent la CGT en tête de leurs attentes, nous sommes loin du compte en ce qui concerne leur syndicalisation. Concrétiser la rencontre des jeunes diplômés et de l’Ugict-CGT implique de nous adapter aux jeunes diplômés et non l’inverse, d’aller au-devant d’eux et non de les appeler à nous rejoindre. Ils doivent eux-mêmes construire notre futur syndicalisme. C’est la seule solution pour qu’il soit représentatif du salariat et pour renforcer un syndicalisme de masse, en capacité de transformer la réalité du travail.

Le besoin d’élévation générale des qualifications, l’utilisation des technologies d’aujourd’hui, notamment des outils numériques, placent les jeunes diplômés au centre des enjeux stratégiques du travail. Ils seront au cœur du devenir de la reconnaissance des qualifications, du financement et du niveau de protection sociale à travers l’impact des nouvelles formes d’emploi des jeunes travailleurs indépendants connectés ou non aux grandes plateformes numériques, de la transformation des liens sociaux, conjuguant le virtuel et la proximité.

Leur appétence pour un travail plus transversal, plus coopératif et leur besoin de nouvelles articulations entre mobilité, autonomie et sécurité, leur volonté de conjuguer une mobilisation au travail et l’équilibre entre vie privée et professionnelle, doivent être prises en compte dans ces transformations.

De leur situation dépendra l’avenir du travail qualifié en France, mais aussi celui des garanties collectives à l’ère de la digitalisation.

L’actualité sociale le démontre.
Ainsi, dans la foulée de la disparition de l’Agirc, la future négociation sur la définition de l’encadrement et du statut cadre pose comme enjeu central la reconnaissance des diplômes alors que le Medef livre une bataille acharnée pour l’évacuer des conventions collectives.

Le statut cadre ouvrant droit aux services de l’Apec et à une retraite complémentaire, constitue encore aujourd’hui, dans les conventions collectives, un rempart contre un déclassement généralisé en définissant des seuils d’entrée à la reconnaissance de la qualification et des critères de définition de l’encadrement opposables aux branches professionnelles (autonomie – responsabilité – qualification.)

Nous souhaitons aller plus loin, afin qu’il constitue un socle national interprofessionnel de garanties collectives, permettant à l’encadrement « d’être professionnellement engagé et socialement responsable ».

Nos propositions visent à changer le quotidien du travail des ICT. Selon un sondage Ugict-CGT-ViaVoice de 2016, 74 % d’entre eux ne se sentent pas associés aux choix stratégiques ; 59 % affirment être en contradiction avec leur éthique professionnelle face aux directives des entreprises et, 62 % souhaitent disposer d’un droit d’alerte pour pouvoir refuser de mettre en œuvre les directives contraires à cette éthique.

Donner à l’encadrement et aux jeunes cadres un statut leur permettant d’exercer leur qualification et leurs responsabilités, est un enjeu collectif de transformation des rapports sociaux dans l’entreprise (rôle contributif de l’encadrement, conception de la hiérarchie) et une bataille d’ensemble pour éviter l’écrasement des grilles salariales.

Au-delà des différents scénarios sur l’emploi, la généralisation du numérique engendre de nouvelles formes d’emplois, qui se répandent prioritairement parmi les jeunes et les jeunes diplômés.

Le rapport (18 avril 2014) du Conseil d’orientation pour l’emploi sur ces évolutions, indiquait à quel point l’ensemble du droit social se trouvait bousculé par la remise en cause de l’unité de temps (Cf. la mise en place des forfaits en jours sans décompte horaire), de lieu (développement du télétravail), d’activité (pluriactivité) qui accroissent la difficulté à normer, encadrer le travail, y compris l’activité salariée classique, confrontée à un véritable dumping social des jeunes travailleurs précaires connectés sur les plateformes.

Si ces évolutions offrent des souplesses nouvelles et affranchissent des traditionnels liens de subordination et des impacts négatifs du Wall Street management, elles induisent un lien de dépendance économique avec des risques de dérives contre les principes de droit social et génèrent déjà de fortes précarités.

Sans réflexion sur la construction de droits sociaux nouveaux adaptés aux nouvelles formes d’activité professionnelles, elles ont pour l’instant des caractéristiques connues très négatives.
Elles réduisent la contribution générale au financement de la protection sociale, elles restreignent les droits sociaux pour les travailleurs indépendants (droit au chômage, santé, retraite). Enfin, elles transfèrent les risques économiques et professionnels sur ces travailleurs.

C’est pourquoi, l’Ugict-CGT avec l’Unef proposent d’élargir le salariat aux travailleurs et travailleuses des plateformes numériques. (Cf. pages 6 et 7 de la plateforme commune).

La situation de la jeunesse, dans un monde en profonde mutation, n’interpelle pas uniquement sur le devenir du droit social, mais aussi sur leur place dans le syndicalisme et en écho à leurs aspirations, l’attractivité, les responsabilités du syndicalisme à leur égard.

 

L’Ugict-CGT a fait des choix revendicatifs et de pratiques syndicales envers les jeunes diplômés.

Je les résumerai en 4 grands axes.

1)    Tout d’abord, tenir bon le cap des décisions confédérales relatives à la syndicalisation des jeunes et à nos rapports avec les organisations lycéennes et étudiantes. L’Ugict-CGT sera fidèle à la décision de la CGT de ne pas affaiblir le syndicalisme étudiant en l’émiettant davantage. C’est d’ailleurs pourquoi, la CGT a proposé de ne syndiquer que les étudiants salariés et non de créer un « énième » syndicat parmi les étudiants. En revanche, c’est en renforçant notre travail avec les organisations de jeunesse sur les questions d’insertion professionnelle et de précarité, nos interventions dans les universités et dans les écoles professionnelles, nos mobilisations dans des batailles communes, que nous serons visibles, efficaces chez les jeunes.

Ce rappel est important au moment où l’entrisme dans le syndicalisme étudiant de certaines organisations de salariés (comme la Cfdt avec la FAGE) est fortement encouragé et récompensé par les pouvoirs publics pour modifier le paysage syndical et éviter ainsi la conjugaison d’une mobilisation de la jeunesse et du monde du travail au sein de luttes communes. Passer outre cette décision confédérale, entacherait nos bonnes relations avec l’Unef, entre autres, et apporterait de l’eau au moulin de ceux qui veulent un peu plus atomiser le syndicalisme étudiant pour mieux le mettre à leurs bottes. Une grave erreur politique pour le syndicalisme de lutte de classe et de masse que nous incarnons.

Notre rôle n’est pas de chercher à l’extérieur une audience, mais d’avoir un travail irremplaçable auprès des jeunes diplômés dans les entreprises dès qu’ils sont stagiaires, apprentis, ou en situation de précarité (contrat à durée déterminée, chargé de mission).

2)    Nous avons décidé de traiter les particularités des jeunes diplômés en intégrant leurs problématiques dans toute la production revendicative Ugict-CGT pour éviter de marginaliser leurs aspirations.

C’est ainsi qu’à chaque proposition revendicative, nous intégrons une déclinaison liée au vécu des jeunes diplômés. Par exemple, concernant les revendications retraites, nous avons porté l’enjeu de la VAE pour les jeunes diplômés ; ou encore dans les revendications contre la précarité, nous avons travaillé sur les garanties des stagiaires et les droits des apprentis, ou enfin dans les suites de la négociation de l’encadrement, nous porterons l’enjeu de la reconnaissance des diplômes dans les conventions collectives dès l’embauche.

Nous savons par expérience, qu’il nous faut éviter les oppositions intergénérationnelles, et donc intégrer dès l’amont les revendications communes aux ICT, la situation des jeunes diplômés, afin d’éviter qu’ils ne soient l’objet d’un dumping social.

C’est pourquoi, il nous faut travailler beaucoup plus sur la situation des jeunes diplômés dans toutes les entreprises, services administratifs, car ils subissent les expérimentations de déstructuration des garanties collectives, généralisées ensuite à tous les ICT.

3)    Nous voulons porter et incarner l’attachement fort de la jeunesse aux aspirations de justice, aux valeurs de démocratie, au sens du travail contre la financiarisation des entreprises et dans l’économie.

Les jeunes diplômés font partie de la génération des lanceurs d’alerte (même si tous ne sont pas jeunes, c’est une période où le phénomène est pointé). Une génération sans compromis, ni compromission avec la délinquance financière et magouilles d’apparatchiks. C’est ce que porte l’Ugict-CGT dans ses revendications d’ensemble pour restaurer le rôle contributif et l’éthique professionnelle de l’encadrement à travers le droit de refus et d’alternative, ou encore son engagement avec Transparency International et Eurocadres pour un statut des lanceurs d’alerte arrimé aux prérogatives des IRP.

4)    Nous souhaitons prendre en compte la volonté des jeunes diplômés, des ICT, d’agir par eux-mêmes, leur donner les moyens d’être acteurs.
Tout d’abord, en amplifiant la culture des débats dans nos organisations spécifiques.

 

Ces Rencontres d’Options sont aussi révélatrices du style de débats qu’assume et porte l’Ugict-CGT et qui font écho aux attentes des jeunes : un lieu de débats contradictoires pour construire collectivement, où il n’y pas de prêt à penser, mais où chacun débat à partir de ce qu’il pense, de ce qu’il expérimente, des valeurs collectives. C’est ce que nous leur proposons : construire leur syndicalisme dans la CGT (pas des jeunes formatés).

Nous avons encore du mal à progresser dans l’articulation entre l’individuel et le collectif. C’est ce qui a conduit l’Ugict-CGT à définir des droits individuels garantis collectivement, constituant le socle de la sécurité sociale professionnelle, portée par toute la CGT.

En utilisant les outils numériques, via les réseaux sociaux, les jeunes diplômés sont déjà une génération du dépassement de ces oppositions. À travers l’investissement personnel dans les réseaux sociaux, son compte individuel Facebook, Twitter, c’est l’individualité de chacun qui peut ainsi produire et générer du collectif. La maîtrise des outils numériques, le talent des jeunes YouTubers, ont ainsi contribué à la vague déferlante de 1,3 million de signatures de la pétition en ligne contre la loi Travail, par exemple.

Cela signifie que l’Ugict-CGT doit encore progresser dans cet apprentissage du numérique pour réussir le défi du syndicalisme 2.0. Comment s’appuyer sur le savoir-faire et les pratiques des jeunes diplômés pour construire, élargir la participation collaborative aux propositions revendicatives, aux luttes, et y compris dans la préparation et la tenue même de notre prochain congrès, en 2018 ?

Comment s’appuyer sur la qualification de plus en plus pointue de ces jeunes diplômés pour faire évoluer et rendre performant notre syndicalisme ?

C’est ce qu’essaye de faire l’Ugict-CGT avec la mise à disposition d’une plateforme numérique, la campagne collaborative #Vie de mère, ou des applications numériques utilisés à titre individuel, mais qui pourront nourrir les luttes collectives sur le temps de travail avec « Mapointeuse.com ».

Ces multiples expérimentations de l’Ugict, cette réflexion sur le syndicalisme 2.0, loin de suppléer les mobilisations, les liens physiques avec les ICT et les jeunes diplômés, peuvent permettre de compléter, d’élargir le rapport de forces aujourd’hui et concrétiser ce que la CGT décide dans ses congrès : des syndiqués acteurs, auteurs et compositeurs.

Enfin, un dernier point, qui devrait constituer le fil rouge de nos interventions auprès des jeunes diplômés, et plus généralement, des ICT.

Si nous sommes performants pour décrypter, analyser la dégradation de la situation des ICT et annoncer le pire de ce qui attend les jeunes diplômés quand on les accueille, force est de constater que nous sommes bien moins à l’aise pour définir, crédibiliser ce que pourrait être le rôle, la place des ICT et construire avec eux une image positive de l’encadrement.

Or, les dernières luttes sur la loi Travail et l’intervention des jeunes YouTubers, qui se nomment eux-mêmes « On vaut mieux que ça », illustrent un fait : les jeunes diplômés font partie d’une génération qui se définit dans une nouvelle dynamique positive (à l’inverse de ceux qui s’appelaient il y a quelques années « Génération précaire » ou « Génération sacrifiée »). C’est la preuve que malgré leur situation difficile, dégradée, ils ne perdent pas de vue leur potentiel, leurs aspirations. Ils sont lucides, mais pas désabusés et prêts à redistribuer les centres de pouvoir dans l’entreprise. Ils l’exprimeront avec ou sans nous.

Le déclassement des jeunes diplômés n’est pas fatal car il existe d’autres solutions et cela ne correspond pas à leur état d’esprit.

Aussi les 15 propositions Unef-Ugict-CGT pour relancer l’ascenseur social, ouvrir des perspectives aux jeunes diplômés (débattues dans nos tables rondes), lutter contre le déclassement des jeunes qui n’ont jamais été aussi qualifiés et la mise en place d’un statut de l’encadrement, proposé par l’Ugict-CGT, doit contribuer à changer l’image, la conception de l’encadrement, leur vécu au travail.

Cela commence par le débat avec les jeunes diplômés et leur syndicalisation dès l’insertion professionnelle !

L’enjeu est capital et stratégique, non seulement pour eux et pour la CGT, mais pour toute notre société, une société qui s’organisera autour de la montée en puissance du travail qualifié et que nous voulons tournée vers le progrès sous tous ses aspects.

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